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GASTON BACHELARD

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ALAIN BADIOU

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JEAN-CHRISTOPHE BAILLY

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ETIENNE BALIBAR
La PROPOSITION de l'EGALIBERTE

Les capacités de résistance à l'injustice subie et à l'intolérable constaté autour de soi s'originent, on le sait, dans les enracinements mais aussi dans les déracinements, dans les fidélités affectives mais aussi dans les évidences intellectuelles de la scientia intuitiva (René Char a dit que c'était la nécessité de la poésie et Cavaillès a dit que c'était la nécessité des mathématiques). Mais dans tous les cas elles sont indissociables de communications et d'héritages transmis - avec ou sans "testament". Au fond de l'individu porté au maximum de son autonomie, de sa capacité de subjectivation, c'est encore du commun, sinon du communautaire, qui résiste, bien que ce commun soit indivisible et le plus souvent irréductible à la simplicité d'un nom, d'un seul système de relations et d'appartenances. C'est peut-être ce que Spinoza avait en vue lorsque, toujours selon Deleuze, il caractérisait l'individualité non comme un "point", mais comme un certain minimum de relations sociales incompressible, une capacité d'agir et de subir, ou d'affecter les autres et d'être affecté par eux.


En juin de l'an dernier,(2007) j'avais signé avec beaucoup d'autres écrivains, artistes, enseignants, un appel élaboré en accord avec le GISTI et le Réseau Education Sans Frontières, appelant le gouvernement à renoncer aux arrestations d'enfants scolarisés «sans papiers », qu'on vient parfois chercher jusque dans les écoles pour les expulser du territoire français. Cet appel consistait pour l'essentiel dans une longue citation du livre de Robert Antelme, L'espèce humaine, publié après son retour des camps, dans lequel il rappelait que leurs inventeurs n'avaient pas réussi, au bout du compte, dans leur entreprise de diviser l'humanité en plusieurs espèces d'après des critères de couleur, de coutumes ou de classes, et que pour cette raison leur système avait été finalement vaincu. De cette évocation nous tirions argument, mes cosignataires et moi-même, pour mettre en garde contre toute politique, par exemple d'immigration dite « choisie» ou sélective, qui reproduirait à sa façon et à son niveau l'idée d'une inégalité d'accès aux droits fondamentaux fondée sur des différences sociales et anthropologiques naturalisées. Commentant cette extrapolation dans une conférence de presse où notre texte était présenté, j'indiquais qu'à mes yeux, certes, une distance immense sépare la gestion économico-policière de l'immigration instituée dans nos sociétés du mécanisme de sélection et d'élimination à l'œuvre dans les camps nazis. Et que pourtant un certain fil conduit d'un terme à l'autre, qu'on courrait de grands risques à vouloir ignorer. J'en concluais qu'il est légitime, et cohérent, d'envisager des actes de résistance civique dès qu'on pense avoir affaire à cette logique, c'est­à-dire dès qu'elle s'ébauche. Quelques jours plus tard je reçus à l'Université une lettre signée du Ministre de l'Intérieur de l'époque, qui me reprochait vivement cette prise de position. Justifiant au nom de l'intérêt national et de la sécurité publique les politiques et les projets gouvernementaux, M. Sarkozy affirmait la conformité des mesures de contrôle et d'éloignement au droit et aux principes républicains, déclarait ignominieuse l'analogie proposée entre les périodes historiques, et concluait par ces mots: « Monsieur le Professeur, vous vous êtes déshonoré ».

ALESSANDRO BARICCO
Homère, Iliade

"Construire une autre beauté, c'est peut-être la seule voie vers une paix vraie. Prouver que nous sommes capables d'éclairer la pénombre de l'existence, sans recourir au feu de la guerre. Donner un sens, fort, aux choses, sans devoir les amener sous la lumière, aveuglante, de la mort. Pouvoir changer notre propre destin sans devoir nous emparer de celui d'un autre; réussir à mettre en mouvement l'argent et la richesse sans devoir recourir à la violence; trouver une dimension éthique, y compris très haute, sans devoir aller la chercher dans les marges de la mort; nous confronter à nous-mêmes dans l'intensité d'un lieu et d'un moment qui ne soit pas une tranchée; connaître l'émotion, même la plus vertigineuse, sans devoir recourir au dopage de la guerre ou à la méthadone des petites violences quotidiennes. Une autre beauté, si je me fais bien comprendre. "


ROLAND BARTHES
Le Degré zéro de l'écriture

" Le Mot poétique ne peut jamais être faux parce qu’il est total : il brille d’une liberté infinie et s’apprête à rayonner vers mille rapports incertains et possibles. Les rapports fixes abolis, le mot n’a plus qu’un projet vertical, il est comme un bloc, un pilier qui plonge dans un total de sens, de réflexes et de rémanences : il est un signe debout."

 

"Ecrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.
La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté; mais comme histoire, langage et liberté changent infiniment, la réponse du monde à l'écrivain est infinie : on ne cesse jamais de répondre à ce qui a été écrit hors de toute réponse : affirmés, puis mis en rivalité, puis remplacés, les sens passent, la question demeure."


"L'écriture, c'est la main, c'est donc le corps : ses pulsions, ses contrôles, ses rythmes, ses pesées, ses glissements, ses complications, ses fuites, bref, non pas l'âme (peu importe la graphologie), mais le sujet lesté de son désir et de son inconscient."
Roland Barthes

"Le Texte, c'est le champ de l'aruspice,
c'est une banquette, un cube à facettes,
un excipient, un ragoût japonais,
un charivari de décors, une tresse,
une dentelle de Valenciennes,
un oued marocain,
un écran télévisuel en panne, une pâte feuilletée, un oignon, etc."
Roland Barthes

 


GEORGES BATAILLE
L'expérience intérieure

"Un sentiment d'impuissance : du désordre apparent de mes idées, j'ai la clé, mais je n'ai pas le temps d'ouvrir."

 

"La liberté n'est rien si elle n'est celle de vivre au bord de limites où toute compréhension se décompose"


JEAN BAUDRILLARD

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ZYGMUNT BAUMAN

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JEAN BEAUFRET
Parménide
Le Poème

"La pensée de Heidegger, c'est ce rayonnement insolite du monde moderne lui-m^eme en une parole qui détruit la sécurité de langage à tout dire et compromet l'assise de l'homme dans l'étant."

MIGUEL BENASAYAG

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WALTER BENJAMIN
Sur le concept de l'histoire

 

"Un tableau de Klee intitulé Angelus Novus représente un ange, qui donne l'impression de s'apprêter à s'éloigner de quelque chose qu'il regarde fixement. Il a les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées. L'Ange de l'Histoire doit avoir cet aspect-là. Il a tourné le visage vers le passé. Là où une chaîne de faits apparait devant nous, il voit une unique catastrophe dont le résultat constant est d'accumuler les ruines sur les ruines et de les lui lancer devant les pieds.

Il aimerait sans doute rester, réveiller les morts et rassembler ce qui a été brisé. Mais une tempête se lève depuis le Paradis, elle s'est prise dans ses ailes et elle est si puissante que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement dans l'avenir auquel il tourne le dos tandis que le tas de ruine devant lui grandit jusqu'au ciel. Ce que nous appelons le progrès, c'est cette tempête."


Angelus novus est une aquarelle de Paul Klee peinte en 1920


TEODOR W. ADORNO
WALTER BENJAMIN
Coprrespondance 1928-1940

120. Benjamin à Adorno
Lourdes, 2.8.1940

Cela me tranquillise beaucoup de vous savoir en quelque sorte "joignables" à New York et, au sens propre du terme, vigilants...

121. Port Bou
La Chronique

 


WALTER BENJAMIN
Sens unique
précédé de Enfance Berlinoise

Le travail d'une bonne prose comporte trois stades : un stade musical, où elle est composée, un stade architectonique où elle est construite, et finalement un stade textile, où elle est tissée.

ANDRE BERNOLD


ANDRÉ BERNOLD
J'écris à quelqu'un

Editions Fage. 2016

Pages recueillies et présentées par Jean-Pierre Ferrini

« Quant à la réponse  à la question de ce que c’est que d’être un homme, pour moi elle est toute simple, parce qu’elle est pro domo, je la trouve immédiatement : être un homme, c’est être INGUERISSABLE. »

"D'abord les amitiés-illusion. Ce fut un mirage, un rêve éveillé. Puis il y a les amis que j'ai déçus, cruellement : Derrida et Pierre Berès. Les deux m'ont gardé leur amitié, par-delà la déception. C'est là peut-être que je devrais m'arrêter. Ensuite, il y a ceux qui ne m'ont jamais compris. Leur défection ne pose pas de problème. Puis ceux dont tout indique qu'ils m'ont très bien compris, et qui soudain me tournent le dos, sans explication. Il y a les négligents, dont la négligence étalée sur des lustres vaut rupture, bien qu'il n'y en ait pas eu. Il y a ceux qui sont happés par le vent de l'indifférence si caractéristique depuis quelques années. Il y a ceux qui sont trop loin (dans l'Arizona, par exemple). Il y a ceux qui ont un grief, secret ou avoué. Il y a ceux dont la patience est à bout. Il y a ceux dont les problèmes sont plus énormes que les miens. Et puis enfin, il y a les inexplicables traîtrises. Presque tout cela est indéchiffrable. Il y a aussi ceux qui reviennent, après un quart de siècle. Dans la plupart des cas c'est l'information qui manque, la parole qui tarit, trente ans qu'on ne résume pas, une femme, des enfants ; certains n'ont plus rien à dire, des histoires d'impôts, de chômage. Il y a pour finir soi-même devenu complètement nul. Beckett lui-même, à la fin de sa vie, a eu la brouille très facile. Pour ma part, j'ai senti le vent du boulet. Mais il s'est ravisé, et m'a envoyé ce mot, dont la lecture s'accompagna du plus gros soupir de soulagement de ma vie : « Calme-toi. Rien de changé. Affection. Sam » (4 juin 1987)."

"J'ÉCRIS À QUELQU'UN
Je ne suis un écrivain que très accessoirement. Plutôt un graphomane. Même pas un écrivain de l'empêchement. Mais la formule de Beckett est juste. Il suffit de remplacer un mot. Je suis un vivant de l'empêchement. Je vis ce qui empêche de vivre. Là, c'est juste. Ça veut simplement dire que je suis malade. Un malade comme un autre. Dans ce que j'écris au fil de la plume je ne sais pas ce qui est bien ou pas bien, parce que j'écris dans un moment d'oubli, pas de récollection. J'écris à quelqu'un dont je me souviens, à partir de l'oubli que je ne conjure qu'un instant pour cette personne. Sinon rien."

Jean-Claude Leroy : André Bernold, ami de Samuel Beckett, " à soi même contraire "

Richard Blin : "Fin de partie"



ANDRÉ BERNOLD
Soies brisées
 Hermann (éditions), 1999.

Note sur Beckett musicien
"Samuel Beckett aimait la musique. La plupart de ses œuvres s'y rapportent de quelque manière. Son théâtre, on l'a dit maintes fois, emprunte à la musique classique occidentale des formes cycliques ou récurrentes remarquables, et les cahiers de régie qu'il tenait lorsqu'il mettait en scène ses propres pièces se présentent comme des partitions."

"Ce qui est monstrueux dans le langage, c'est qu'il est une surface matérielle, une pellicule, une membrane sonore ; il faudrait la crever, la fendre, la scinder en elle-même (parcourir la surface pour l'effiler et la faire fuir par l'encoche, la révulser — au moins cela —, ce serait l'idée de Beckett comme de Bacon, « un Irlandais, je crois », feignait de remarquer S.B. en souriant), pour forcer le passage, « trouver l'issue », etc. ; et pourtant on ne peut que la suivre, s'y coller, s'y étendre, être indéfiniment renvoyé par la paroi vibrante qui résonne en nous, mais à l'intérieur de laquelle nous sommes enfermés. -
Parler ainsi, c'est exactement comme de tenter de naître en étant déjà mort. "


ANDRÉ BERNOLD
L'amitié de Beckett
1979-1989
Hermann (éditions), 1992

"Beckett s'impatientait rarement. La désapprobation, il ne l'exprimait guère en paroles, elle le contractait tout entier. La colère lui imprimait une moue de déception extrême. Puis il se détournait. Personne n'était plus prompt à disparaître avant d'être parti. L'ironie et la bonté dominaient en lui. Il était impossible de s'y méprendre à quiconque l'avait aperçu une fois. Il vérifiait le mot de Beethoven : « Je ne reconnais d'autre signe de supériorité que la bonté. » Mes citations circonscrivaient, autour de cette bonté, un espace stable. Certaines coïncidences continuaient de s'y produire. Le jour même était le cas pur. Le calendrier s'enroulait et, mince comme un fil, traversait, intact, les années. Il tramait les moments que nous passions ensemble. S'y inscrivaient des noms amis, les rouages de la correspondance, un geste, un vêtement, une intonation récurrente ; les rêves de la nuit."

"C'est lui qui m'avait fait prendre le pli de chercher encore la bonté au fond du plus éblouissant talent, de la rigueur d'esprit devenue musicale."

 

ALIENOR BERTRAND
Condillac, l'origine du langage

"Toute l'argumentation de Condillac est radicalement anticartésienne. Sa conception de la possibilité et des progrès de la connaissance repose sur un argument concernant le développement du langage par un processus qui requiert beaucoup de répétitions, d'habitudes bien formées, une interaction sociale régulière sur le mode d'un jeu continuel dans une forme de vie partagée sur une très longue période...La formation du discours n'est pas l'oeuvre d'esprits isolés sur le modèle privé cartésien. Il n'est pas inventé mais surgit sur le mode décrit par Hume à travers ce bel exemple par lequel "deux hommes, ramant sur un bateau, le font par un accord et une convention bien qu'ils ne se soient jamais rien promis l'un à l'autre..."

JANET BIEHL
Le municipalisme libertaire

"Il est plus que jamais nécessaire, devant la catastrophe écologique qui s’annonce, de prendre conscience que ni les États et leurs conventions internationales ni le capitalisme dit « vert » n’arriveront à enrayer le processus destructeur qu’ils ont eux-mêmes enclenché. Tout au plus pourront-ils gérer la nouvelle rareté des ressources par un renforcement de leur concentration profondément inégalitaire, appuyée par un recours toujours plus fréquent aux appareils répressifs, comme nous le voyons déjà dans les régions du monde où des populations sont violemment réprimées parce qu’elles essaient de défendre un autre mode de vie face aux mégaprojets imposés par les consortiums étatico-industriels."

"L’autonomie politique, cet état enfin adulte de l’humanité, comme le disait Kant, est un plaisir multiple à découvrir : le plaisir de sortir de l’infantilisation, celui de se libérer de l’esclavage des marchandises et du travail qu’on y consacre, celui de redécouvrir les activités dignes d’une vie humaine."

 


Janet Biehl retrace la ruine de nos démocraties représentatives et présente un programme réaliste de démocratie directe profondément décentralisée. L'auteur propose ainsi un guide de la pensée politique du philosophe écologiste Murray Bookchin, dans une synthèse accessible, à la fois théorique et pratique. Après un portrait historique de la démocratie municipale, de la cité athénienne à l'urbanisation actuelle en passant par les cités médiévales, l'auteure nous met en garde devant les institutions étatiques et urbaines qui entravent la démocratie directe. Elle défend la nécessité de redéfinir le champ politique par la décentralisation et la démocratisation des institutions. Cette nouvelle édition propose une traduction entièrement révisée ainsi qu'une nouvelle préface par une spécialiste d'Aristote et de la pensée anarchiste.

Biehl et Bookchin montrent bien que, sans cette institution politique, toute transition vers d’autres formes de production, d’habitat ou de relations est vouée à rester au mieux marginale : tolérée par le système dominant tant qu’elle ne le concurrencera pas sérieusement, récupérée par lui lorsqu’il aura besoin d’idées nouvelles à vendre, et impitoyablement détruite si elle se développe au point de menacer ses intérêts. Il nous faut donc agir constamment sur les deux fronts : construire des alternatives locales, écologiques et antiautoritaires, et investir le champ politique, qui seul pourra leur assurer une pérennité. On peut se demander (on n’a pas manqué de le faire) si le processus proposé par Bookchin pour parvenir à long terme à une fédération de municipalités libertaires est réalisable dans l’état actuel des législations nationales. Ce programme suppose en effet une large autonomie des pouvoirs locaux par rapport aux États, ce qui est loin d’être généralisé à l’échelle mondiale. L’État du Vermont, où une expérience de municipalisme libertaire a été tentée »

Associé dès sa jeunesse (au début des années 1930) à la gauche communiste internationale, Bookchin a consacré sa vie à trouver une solution de rechange à la société capitaliste actuelle, qui empoisonne la nature et réduit la majorité de l’humanité à la misère. Il est connu pour son étude minutieuse de la tradition révolutionnaire européenne et pour avoir introduit l’idée de l’écologie dans la pensée de la gauche. Le premier, il énonça, en 1962, le principe selon lequel une société libératrice ne pouvait être qu’écologique.

SEBASTIEN BOHLER
Le bug humain

"Comme chez le rat, les neurones à dopamine irriguent les différentes parties de notre cortex et dictent leur loi. Ainsi, même si le cortex est l’arme fatale qui a assuré le succès des mammifères et notamment des primates évolués que nous sommes, acquérant chez nous une puissance inégalée, le striatum continue à tenir les commandes. Il poursuit toujours les mêmes objectifs qu’il y a dix millions d’années : trouver de la nourriture, des partenaires sexuels, se procurer un statut social, acquérir du territoire et des informations permettant d’augmenter sa survie, le tout en dépensant le moins d’énergie possible. "

"Au milieu de tout cela, une seule chose a changé, mais elle est d’importance : le cortex de l’homme s’est largement développé depuis un million d’années environ et est autrement plus puissant que celui d’un rat. En élaborant des technologies sophistiquées, que ce soit dans le domaine alimentaire, de l’information ou de la production de biens matériels, ce cortex est aujourd’hui capable de procurer au striatum presque tout ce qu’il désire, parfois sans effort. Et le problème, c’est que le striatum ne demande que cela. À  aucun moment il ne lui viendrait à l’idée de se limiter."

"En 2016, le physicien de l’université Harvard Alex Wissner-Gross calculait ainsi qu’une requête d’information sur le serveur Google, qui en totalise plus de cinq milliards par jour, produisait la même quantité de chaleur (par transport d’énergie le long des connexions Internet et du fait du fonctionnement très calorifique des serveurs Internet) que le fait d’amener une demi-tasse de café à ébullition. Connaître la météo à Rennes réchauffe la météo à Rennes. C’est la nouvelle donne de l’humanité devenue le principal danger pour elle-même. "

LUC BOLTANSKI & NANCY FRASER
Domination et émancipation
Pour un renouveau de la critique sociale

"...De cette rencontre est donc en train d'émerger une étrange mixture que l'on peut qualifier de nouvelle idéologie dominante ou de néoconservatisme à la française. Elle est marquée à la fois par l'anticapitalisme (à la différence du néoconservatisme américain), par le moralisme et par la xénophobie. Elle se concentre, de façon quasi obsessionnelle, sur la question de l'identité nationale, avec l'opposition entre le vrai (et bon) peuple de France et les émigrés des banlieues, amoraux, violents, dangereux et surtout désireux de profiter abusivement des « bienfaits » de ce qu'il reste de l'Etat-providence. Elle réclame le renforcement des formes culturelles les plus « nobles » (auxquelles sont opposées les « élucubrations » de la contre-culture), et dénonce la faiblesse des démocraties, dont la tolérance confinerait au laxisme, avec pour conséquence la demande d'un renforcement des pouvoirs de police.
Cette idéologie, dans ses expressions les plus marquées, est, bien sûr, celle que véhiculent les partis de la droite extrême, comme le Front national. Mais il faut bien admettre qu'elle tend à contaminer, sous des formes plus euphémisées, nombre de discours et de pratiques qui se réclament non seulement de la droite traditionnelle mais aussi, dans un nombre non négligeable de cas, de la gauche. Et cela non seulement dans les propos de porte-parole politiques, soucieux de séduire des électeurs potentiels qui tendent à leur échapper, mais aussi, ce qui est plus inquiétant encore, dans certains développements de la gauche intellectuelle." (Luc Boltanski)


LUC BOLTANSKI
ARNAUD ESQUERRE

Vers l'extrême
Extension des domaines de la droite.

"Nous sommes entrés depuis quelques mois dans une situation politique exceptionnelle, dont les déroutes électorales de la gauche ne sont que le signe le plus patent. Cette situation est marquée à la fois par une extension des mesures néolibérales et par la dérive vers la droite nationaliste et xénophobe dont l'antilibéralisme affiché fait désormais fortune. Cette dérive vers l'extrême ne touche pas seulement la droite classique, elle contamine aussi des espaces longtemps marqués à gauche, suscitant des déplacements ambigus et la formation de nouvelles alliances. Elle gagne un nombre croissant de domaines et jusqu'au langage comme en témoigne le détournement de termes usuels comme ceux de système, d'identité, de terroir, de culture, de morale et, au premier chef, celui de peuple." (avril 2014)

"...Ce genre d'acquiescement tacite et gêné non seulement aux thèses du Front National, mais au fait même de sa montée en puissance, est d'autant plus prégnant qu'il se trahit jusque dans les discours publics, par exemple ceux de nouveaux éditorialistes vedettes, qui prétendent s'en inquiéter et l'analyser pour le contrecarrer. Car, se présentant comme animés par le désir bien intentionné de « comprendre », ils orientent moins leurs critiques contre le Front National lui-même et contre ses stratégies politiques, que contre les conditions sociales et politiques — surtout si elles peuvent être attribuées à la gauche — qui sont censées être la cause de l'adhésion populaire croissante au Front National."

"La conscience d'être plongés dans un monde où les mots "n'auraient plus de sens" parce qu'ils auraient "perdu leurs significations partagées", est sans doute l'un des symptômes les plus marquants de l'inquiétude qui accompagne, ou plutôt précède, les grandes crises sociales..."


PIERRE BOURDIEU


PIERRE BOURDIEU
Esquisse pour une auto-analyse

"Comment pourrais-je ne pas me reconnaître en Nietzsche lorsqu'il dit à peu près, dans Ecce Homo, qu'il ne s'en est jamais pris qu'à des choses qu'il connaissait à fond, qu'il avait lui-même vécues, et que, jusqu'à un certain point, il avait lui-même été?"


PIERRE BOURDIEU
l'ontologie politique de martin heidegger

"Les dénonciateurs les plus déterminés des compromissions de l'auteur de Sein und Zeit avec le nazisme ont toujours omis de chercher dans les textes mêmes les indices, les aveux ou les traces propres à annoncer ou à éclairer les engagements politiques de son auteur...
Il faut abandonner l'opposition entre la lecture politique et la lecture philosophique, et soumettre à une lecture double, inséparablement politique et philosophique, des écrits définis fondamentalement par leur ambiguïté, c'est-à-dire par la référence à deux espaces sociaux auxquels correspondent deux espaces mentaux"


PIERRE BOURDIEU
Contre-feux

"Parmi ces collectifs, associations, syndicats, partis, comment ne pas faire une place spéciale à l'Etat, Etat national ou, mieux encore, supranational, c'est-à-dire européen (étape vers un Etat mondial), capable de contrôler et d'imposer efficacement les profits réalisés sur les marchés financiers et, surtout, de contrecarrer l'action destructrice que ces derniers exercent sur le marché du travail, en organisant, avec l'aide des syndicats, l'élaboration et la défense de l' intérêt public qui, qu'on le veuille ou non, ne sortira jamais, même au prix de quelque faux en écriture mathématique, de la vision de comptable (en un autre temps, on aurait dit d'« épicier ») que la nouvelle croyance présente comme la forme suprême de l'accomplissement humain. "



JACQUES BOUVERESSE

JACQUES BOUVERESSE
Essais IV
Pourquoi pas des philosophes?

"Une bonne partie de la production contemporaine est la justification théorique plus ou moins inconsciente d'un renoncement et d'une démission."


JACQUES BOUVERESSE
Essais III
Wittgenstein et les sortilèges du langage

""les problèmes les plus profonds ne sont à proprement parler pas des problèmes". La conclusion du Tractatus est, en effet, que tout problème, ou bien peut-être résolu en principe, ou bien ne peut pas être posé et, par conséquent, n'est pas un problème ; ce qui est effectivement le cas des problèmes les plus "importants", ceux qui ont trait au sens de la vie, à la mort, etc."


JACQUES BOUVERESSE
Robert Musil
la moyenne et l'escargot de l'histoire

"Dans le domaine moral également, on procède aujourd'hui selon le principe de la construction sur pilotis et l'on enfonce dans l'indéterminé les caissons rigidifiés des concepts, entre lesquels s'étend une grille de lois, de règles et de formules. Le caractère, le droit, la norme, le bien, l'impératif, le fixe à tous points de vue sont des pieux de cette sorte, dont on veille à maintenir le caractère, la pétrification, pour pouvoir y fixer le filet des centaines de décisions morales singulières qu'exige chaque jour."


JACQUES BOUVERESSE
et JEAN-JACQUES ROSAT
Philosophies de la perception

"Ce que Wittgenstein décèle au bout du compte dans la thèse de la priorité de la perception des formes sur la saisie des significations, c'est le mythe du voir pur, le mythe d'un voir débarrassé du langage, du savoir, de l'expérience, d'un voir dépouillé de tout ce qui n'est pas les formes, les couleurs et leur organisation : le mythe d'un voir innocent. Et il est difficile de lui donner tort : Köhler lui-même souligne que c'est "au regard des adultes" seulement que le monde sensoriel est "si totalement imprégné de signification". Le mondes des couleurs et des Gestalten serait-il pour Köhler le vert paradis de la perception enfantine?"

ALAIN BROSSAT

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JUDITH BUTLER
FRÉDÉRIC WORMS
Le vivable et l'invivable

JB: " Mais je suis inquiète, en ces temps régis par le néolibéralisme, où les biens sociaux, les ressources sociales, la sécurité sociale se trouvent décimés et externalisés, les retraites détruites ou amenuisées, les soins médicaux de plus en plus difficiles à obtenir et à payer dans de nombreux endroits du monde (y compris aux États-Unis), quand le droit à un toit n’est pas assuré et que la nourriture est produite de façon toxique et distribuée de manière inégalitaire. Oui, je m’inquiète de voir que nous sommes parfois priés de cultiver des attitudes morales de philanthropie et de care dans un esprit chrétien censé compenser les ravages institutionnels ourdis par le néolibéralisme. Il faudrait plutôt que les services sociaux et les prestations sociales soient considérés comme des biens publics et des obligations que les gouvernements se doivent d’honorer. Je suis préoccupée dans certaines situations par la mise en exergue d’une sorte de valeur chrétienne, qui tend à renforcer une conception très traditionnaliste de la famille et des tâches du soin, assignées aux femmes, pour compenser ces ravages économiques et leur cortège de misère."


" Sauvegarder n’est pas exactement la même chose que préserver : préserver une vie signifie la protéger telle qu’elle est ; sauvegarder une vie implique de la protéger pour ce qu’elle est susceptible de devenir, dans un contexte où le contenu de cette vie, son mode de vie, ne peut être ni prescrit ni prédit à l’avance, et où l’autodétermination émerge comme un potentiel  à sauvegarder. L’aspiration démocratique inclut ainsi le souci d’assurer à chaque vivant la possibilité effective de décider par lui-même, sans interférence illégitime, des modalités concrètes de son existence et de son épanouissement." Judith Butler, La Force de la non-violence


DORIS BUU-SAO
Le capitalisme au village
Pétrole, etat et luttes environnementales en Amazonie

" L’Amazonie est emblématique de cette expansion sans fin de la frontière extractive incarnée, aujourd’hui, par des firmes pétrolières, minières ou agro-industrielles. "

"L’industrie extractive nourrit de profondes transformations sociales bien au-delà des installations industrielles, de la sédentarisation des familles du Pastaza aux interactions quotidiennes engagées dans le cadre des programmes de responsabilité sociale des entreprises pétrolières."

"Pastaza est un des premiers sites d’extraction du caoutchouc péruvien : dès 1862, les caucheros extraient du latex au nord du fleuve Marañón, notamment sur les rives du Pastaza. La période d’extraction intense ne dure que vingt ans : les techniques d’extraction particulièrement agressives épuisent rapidement les arbres à latex.
L’économie du caoutchouc n’en a pas moins laissé des traces durables sur la population du Pastaza. Les modes de recrutement de la main-d’œuvre locale combinent la persuasion, par le biais d’intermédiaires et la vente de biens manufacturés surévalués, et une coercition violente, allant des châtiments corporels à l’exécution exemplaire pour punir les tentatives de fuites. Réduit·es à l’état de quasi-esclavage par des dettes gonflées de manière artificielle, hommes, femmes et enfants sont intégré·es à la production en tant que travailleurs, domestiques ou prostituées. Ces modalités de captation de la main-d’œuvre ont pour effet de dépeupler les rares noyaux de sédentarisation. "

 


"Sa célébration, [ un collège] lors de l’inauguration, est l’occasion de sceller publiquement l’alliance entre les « parties prenantes » de l’extraction pétrolière, mais aussi de mettre en avant une définition dépolitisée du « développement durable » : « Le passage de formes de gouvernance centralisées et hiérarchisées vers des partenariats volontaires, flexibles […] représente une nouvelle forme de gouvernement à distance, selon une rationalité ancrée dans l’opération de marché. » Après s’être serré la main, les autorités villageoises et les membres de la commission d’inauguration se dirigent vers le collège, au bord du terrain de football d’Andoas. Les murs en béton du bâtiment, en rouge et ocre, tranchent avec les petites maisons qui encerclent le terrain, faites de planches de bois, de tôle ondulée et de matériaux de récupération. Dans la cour du collège, des toiles ont été tendues pour abriter le public du soleil brûlant. Les habitant·es reçoivent un t-shirt et une casquette estampillés du logo de Pluspetrol qui donnent l’impression d’un public uniforme, aux couleurs de l’entreprise. Face à celui-ci, sur une estrade, les membres de la commission prennent place. À l’invitation de l’apu d’Andoas, les discours se succèdent : le gérant de Pluspetrol, le vice-ministre de la Culture et le président du gouvernement régional soulignent de concert les vertus de cet ouvrage, fruit de la bonne volonté des habitant·es – qui ont participé à la construction en collectant du sable dans le lit du fleuve Pastaza – du gouvernement régional et, bien sûr, de Pluspetrol. « Ce collège est la preuve qu’avec des alliés stratégiques, on peut réussir à développer le pays », affirme le PDG de Pluspetrol lors de son discours. "

"L’implantation d’une enclave pétrolière aux confins du territoire national apparaît donc comme un moyen détourné de gouverner l’Amazonie : l’extraction de ses ressources contribue à en fixer la population et à la socialiser à l’économie de marché. La compagnie Pluspetrol joue dans ce contexte un rôle central. "

"Censée transformer les habitant·es en « partenaires » de l’activité pétrolière converti·es à l’économie de marché, l’entreprise communale se présente comme un outil de prévention des conflits mais aussi de diffusion d’une rationalité néolibérale. "