ANDRÉ BERNOLD
J'écris à quelqu'un
Editions Fage. 2016
Pages recueillies et présentées par Jean-Pierre Ferrini
« Quant à la réponse à la question de ce que c’est que d’être un homme, pour moi elle est toute simple, parce qu’elle est pro domo, je la trouve immédiatement : être un homme, c’est être INGUERISSABLE. »
"D'abord les amitiés-illusion. Ce fut un mirage, un rêve éveillé. Puis il y a les amis que j'ai déçus, cruellement : Derrida et Pierre Berès. Les deux m'ont gardé leur amitié, par-delà la déception. C'est là peut-être que je devrais m'arrêter. Ensuite, il y a ceux qui ne m'ont jamais compris. Leur défection ne pose pas de problème. Puis ceux dont tout indique qu'ils m'ont très bien compris, et qui soudain me tournent le dos, sans explication. Il y a les négligents, dont la négligence étalée sur des lustres vaut rupture, bien qu'il n'y en ait pas eu. Il y a ceux qui sont happés par le vent de l'indifférence si caractéristique depuis quelques années. Il y a ceux qui sont trop loin (dans l'Arizona, par exemple). Il y a ceux qui ont un grief, secret ou avoué. Il y a ceux dont la patience est à bout. Il y a ceux dont les problèmes sont plus énormes que les miens. Et puis enfin, il y a les inexplicables traîtrises. Presque tout cela est indéchiffrable. Il y a aussi ceux qui reviennent, après un quart de siècle. Dans la plupart des cas c'est l'information qui manque, la parole qui tarit, trente ans qu'on ne résume pas, une femme, des enfants ; certains n'ont plus rien à dire, des histoires d'impôts, de chômage. Il y a pour finir soi-même devenu complètement nul. Beckett lui-même, à la fin de sa vie, a eu la brouille très facile. Pour ma part, j'ai senti le vent du boulet. Mais il s'est ravisé, et m'a envoyé ce mot, dont la lecture s'accompagna du plus gros soupir de soulagement de ma vie : « Calme-toi. Rien de changé. Affection. Sam » (4 juin 1987)."
"J'ÉCRIS À QUELQU'UN
Je ne suis un écrivain que très accessoirement. Plutôt un graphomane. Même pas un écrivain de l'empêchement. Mais la formule de Beckett est juste. Il suffit de remplacer un mot. Je suis un vivant de l'empêchement. Je vis ce qui empêche de vivre. Là, c'est juste. Ça veut simplement dire que je suis malade. Un malade comme un autre. Dans ce que j'écris au fil de la plume je ne sais pas ce qui est bien ou pas bien, parce que j'écris dans un moment d'oubli, pas de récollection. J'écris à quelqu'un dont je me souviens, à partir de l'oubli que je ne conjure qu'un instant pour cette personne. Sinon rien."
Jean-Claude Leroy : André Bernold, ami de Samuel Beckett, " à soi même contraire "
Richard Blin : "Fin de partie"